Par Élodie Messéant

L’Union européenne n’a pas fini d’appauvrir les agriculteurs. Début février, la Commission européenne a diffusé un mémorandum largement médiatisé, proposant de nouvelles cibles de réduction des émissions de CO2 d’ici 2040. Ces objectifs viennent compléter l’agenda « Fit For 55 », lequel avait établi des objectifs pour 2030 afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Depuis près de deux semaines, les agriculteurs français manifestent contre ces politiques environnementales irréalistes, qui leur apportent toujours plus de contraintes au nom de la préservation de notre planète.

Déconnectée du monde réel, la bureaucratie est rarement à la hauteur de ses prétentions. Lorsqu’on y regarde de plus près, le mémorandum ne prend aucunement en compte la faisabilité technique de ses objectifs démesurés. Il fixe comme objectif la réduction des émissions « nettes » de 90 % en comparaison à celles de 1990, en déployant des technologies bas carbone telles que la production d’hydrogène par électrolyse, la séquestration du carbone, ou encore l’élimination du carbone dans l’industrie. Tout d’abord, l’électrolyse n’est pas une méthode particulièrement écologique en l’état, et elle ne représente que 4 % de l’origine de l’hydrogène en 2016 (contre 49 % en provenance du gaz naturel). La séquestration du carbone par la main de l’homme implique de trop coûteux investissements pour être considérée comme une solution viable à terme. Quant à la décarbonation de l’industrie, est-elle vraiment réaliste sans investissements massifs dans l’énergie nucléaire ?

Bien entendu, la Commission européenne précise que les prix de l’énergie doivent rester « abordables », et que tout le monde ait accès à des solutions décarbonées. « Des mesures de redistribution seront essentielles pour traiter les impacts sociaux afin que personne ne soit laissé pour compte » est-il précisé. Cela tombe bien : les politiques écologistes ont la fâcheuse tendance de provoquer la colère populaire, que ce soit les Gilets jaunes ou les récentes manifestations des agriculteurs à travers toute la France. Ces derniers ont bien compris que les plans écologistes, du Green Deal au Farm to Fork, suivent un agenda politique qui ne pourra que détruire leurs rendements. Entre l’interdiction de certains produits phytosanitaires, les freins à la commercialisation d’OGM, l’excès de normes administratives, la bureaucratie tue l’agriculture à petit feu. Le dernier recensement agricole en 2020 évalue d’ailleurs à 389 000 le nombre d’agriculteurs, alors qu’ils étaient environ 1,6 million en 1970. 

Ce ne sont pas les petits chèques versés par les gouvernements successifs qui y changeront quelque chose. Certes, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé de nouvelles mesures pour apaiser la colère des agriculteurs, comme la simplification d’une seule norme sur les haies (alors qu’il en existe 14 à l’heure actuelle). Ces réformes de façade nous rappellent la réalité suivante : il n’y a pas grand chose à attendre des acteurs de la bureaucratie. En juin 2016, un rapport sénatorial alertait sur les surcoûts qu’engendrent ces normes pour les exploitants agricoles français. La politique agricole commune (PAC), par exemple, les oblige à utiliser une partie de leurs terres à des fins non productives et à réduire leur utilisation d’engrais. Ce même rapport rappelait, à juste titre, que les normes agricoles sont d’abord des normes européennes, et qu’à l’inverse des directives, les règlements de la PAC sont d’application directe. 

Les blocages et manifestations d’agriculteurs aux Pays-Bas en 2022 ne semblent pas avoir éveillé les bureaucrates européens : faut-il attendre une multiplication des crises sociales à travers l’Europe pour qu’ils abandonnent leurs prétentions planificatrices ? Le lobbying pseudo environnemental a acquis une place si grande dans la sphère politico-médiatique qu’il serait vain de croire qu’une solution durable puisse émerger des gouvernements nationaux et des institutions européennes. La seule porte de sortie (littéralement) implique certainement qu’un pays se rapproche si dangereusement d’une pénurie de produits alimentaires qu’il débouche sur un changement de représentants nationaux, lesquels seraient foncièrement anti-UE.