Par Élodie Messéant

La classe technocratique est décidément fidèle à elle-même : elle peine à appliquer les principes égalitaristes qu’elle prône à longueur de journée, en particulier dans le domaine de l’éducation. Hier, l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, défendait des projets de loi censés augmenter la proportion d’élèves boursiers dans les établissements privés sous contrat… tout en plaçant ses propres enfants à l’École alsacienne, la quintessence de l’élitisme privé parisien. Aujourd’hui, la nouvelle ministre Amélie Oudéa-Castéra se trouve dans une position bien délicate : elle déclare scolariser ses enfants au sein de la prestigieuse école Stanislas en raison de l’absentéisme des enseignants du public.

L’Éducation nationale n’est-elle pas censée être un lieu de formation et d’émancipation des jeunes, comme l’affirme le député PS Jérôme Guedj ? Comment alors expliquer son manque d’attractivité, y compris aux yeux de nos brillantes élites politiques ? M. Guedj avoue avoir lui-même scolarisé ses enfants dans le privé, qu’il accuse pourtant publiquement de « séparatisme social ». S’il existe un séparatisme social, c’est bien celui l’État : son intervention excessive dans l’éducation, marquée entre autres par une uniformisation des programmes scolaires, la suppression des classes jugées élitistes, la baisse des heures d’enseignement en mathématiques, est responsable de la chute de niveau actuelle. Loin d’être un moteur de l’ascenseur social, l’école publique, républicaine et laïcarde, creuse les inégalités entre ceux qui ont les moyens de s’en extraire, et les autres.

Héritage de Jules Ferry, l’école républicaine se distingue originellement par son hostilité au monopole de l’ordre religieux dans la sphère éducative. Ironie de l’histoire, ce sont les établissements privés et religieux, qui se distinguent le plus souvent par un attachement aux méthodes d’enseignement traditionnelles, loin des lubies wokes, écologistes et inclusives, qui sont en tête des classements, notamment des résultats à l’examen du brevet des collèges en 2022. À l’inverse, les établissements publics qui portent le nom de personnalités s’étant engagées en faveur du communisme présentent les pires résultats. Ce fossé entre public et privé est à remettre en perspective avec les données sur l’école à la maison. Le nombre d’enfants dans cette situation augmente de manière constante depuis au moins une décennie : environ 13 000 en 2007-2008 à plus de 40 000 en 2019-2020, avec un pic à plus de 60 000 pendant le confinement. 

L’instruction en famille a l’avantage de s’adapter au rythme d’apprentissage et aux particularités de chaque enfant, qu’ils aient des problèmes de santé, de phobie scolaire, ou ont tout simplement la chance de profiter de l’investissement de leur entourage dans leur apprentissage scolaire. En Suisse, pays dans lequel l’instruction est libre, l’école à la maison est répandue. Sa pratique dépend des dispositions légales de chaque canton. La guerre à ce mode d’instruction au nom de la lutte contre la radicalisation (statistiquement marginale), comme en France, est au contraire le signe d’un affaiblissement dangereux de la liberté scolaire. L’école à la maison a en effet l’avantage d’échapper au contrôle de l’État, et à l’endoctrinement caractéristique de l’instruction centralisée. La loi séparatisme n’a fait que renforcer la dépendance des familles aux décisions arbitraires de l’administration, quand bien même leurs enfants souffriraient d’un handicap ou de harcèlement scolaire. En 2022-2023, les taux de refus s’élèveraient jusqu’à 90 % dans certaines académies.

Les fondateurs de l’école républicaine ont peut-être remplacé l’ordre religieux institutionnel, caractérisé par l’instruction religieuse, le catéchisme et la pratique de rituels en classe, par la « religion laïque », mais ils n’ont aucunement rompu avec la religiosité – et n’ont d’ailleurs jamais prétendu le faire. À l’ancienne morale religieuse s’est substituée la morale laïcarde, républicaine et férue d’égalitarisme, dont même nos élites ne veulent pas pour leurs enfants. Si notre classe technocratique avait l’humilité de s’éloigner du champ de l’instruction, qui relève avant tout du choix des familles, peut-être que l’égalité des chances aurait un sens réel en France. Une première piste consisterait à donner plus d’autonomie aux établissements scolaires et à mettre en place un chèque éducation, à l’instar d’autres pays européens.