Par Élodie Messéant

Lancée en 2019, Ma French Bank, banque en ligne appartenant à La Banque Postale, fait l’objet d’un projet de cessation des activités : son modèle économique ne tient pas debout. Elle rencontre des problèmes de rentabilité avec seulement 750 000 clients fin 2023, contre 1 050 000 pour son concurrent Fortuneo. L’objectif d’atteindre 1,5 million de clients en 2025 n’est pas paru atteignable par Alexandre Giros, son nouveau directeur général. Il faut dire que le marché des banques en ligne est particulièrement concurrentiel. Malgré ses grandes ambitions affichées dès son lancement en 2019, à savoir proposer une offre au « tarif attractif de 2 euros par mois », Ma French Bank est arrivée après la bataille : ING a déployé ses services de banque en ligne dès 1997, Boursorama en 2005, suivi par Monabanq en 2006, puis Bforbank et Fortuneo en 2009. En 2013, Hello Bank a fait son entrée, suivi par Nickel en 2014, N26 et Revolut en 2015, Treezor et Qonto en 2016, C-Zam et Orange Bank en 2017. 

L’échec de Ma French Bank est un argument supplémentaire à la privatisation du groupe La Poste, dont la qualité des services est de plus en plus déplorable. En janvier dernier, La Poste a supprimé le timbre rouge pour le remplacer par la « e-Lettre rouge », une sorte d’email payant qui pose de sérieuses questions de confidentialité. Cette initiative a été prise dans le but d’économiser plusieurs centaines de millions d’euros, le service universel postal (l’activité principale de La Poste) étant en déficit constant depuis 2018. En janvier 2024, les clients devront subir une augmentation de 11 % du timbre vert (de 1,16 € à 1,29 €) et de la lettre recommandée (de 4,83 € à 5,36 €), et de 9 % pour la lettre internationale (de 1,80 € à 1,96 €). Là encore, cette décision est censée permettre à La Poste de « s’assurer (de) la pérennité du service universel postal » dans un contexte d’inflation et de baisse des volumes du courrier, avec une économie évaluée à 400 millions d’euros.

C’est l’occasion de rappeler qu’une réelle privatisation n’aurait jamais conduit à une telle situation. Contrairement à ce qu’on a l’habitude d’entendre chez les syndicats d’obédience marxiste, les deux directives européennes de 1997 et 2002 ont conduit certes à une ouverture progressive à la concurrence avec la fin du monopole de l’envoi de lettres, mais la transition vers le statut de société anonyme en 2011 n’a pas été accompagnée d’un retrait de l’Etat des capitaux. Bien qu’ils aient profité des bénéfices de la concurrence (diminution de l’endettement net global de 46,6 % en euros courants ; baisse du nombre de fonctionnaires de 91 % à 73 % entre 1991 et 2001), les contribuables n’en n’ont toujours pas pour leur argent. La Poste reçoit chaque année une subvention budgétaire d’environ un demi-milliard d’euros pour maintenir à flot le service universel postal. 

Cette situation est inconcevable pour une entreprise rentable du secteur privé, et donc capable de satisfaire ses clients sans forcer les contribuables à la financer. Si La Poste n’était pas sous la tutelle de l’Etat – ce qui n’est pas le cas de ses principaux concurrents en Europe – l’échec signé d’avance de Ma French Bank n’aurait probablement pas eu lieu. Ce n’est pas pour rien que la Cour des comptes recommande, dans son rapport « Les missions de service public du groupe La Poste – un coût croissant, un usage moins fréquent », d’instaurer des objectifs de résultat dans le contrat d’entreprise 2023-2027, conclu entre l’Etat et La Poste.

La réalité a la fâcheuse tendance de fonctionner à l’inverse de ce que prédisent les socialistes : les expériences allemandes et anglaises illustrent le non-sens d’opposer « marchandisation » et « service public ». La Poste allemande, anciennement Deutsche Bundespost, a été privatisée en 1995 pour devenir le Deutsche Post DHL Group, une entreprise anonyme à capitaux mixtes. En 2017, elle détenait plus de 40 % des parts de marché dans la livraison en Asie-Pacifique et en Europe. Son chiffre d’affaires en 2021 s’élevait à 81 milliards de dollars (contre 34,6 milliards d’euros pour le groupe La Poste). La privatisation a permis au Deutsche Post DHL Group de fournir un service plus performant : 92 % du courrier est livré en un jour en Allemagne, comparé à seulement 60 % en France. Quant à la privatisation de la Royal Mail en 2013, elle a contribué à réduire les déficits et à résoudre les problèmes de financement. Après cinq siècles de service public, la Royal Mail est devenue une société par actions n’ayant plus aucun lien avec la Couronne, et capable d’investir près de 2,7 milliards de livres sterling au cours des sept années suivant la privatisation. Quel gouvernement aurait le courage d’entamer des réformes similaires dans l’Hexagone ?