Par Élodie Messéant

Selon le rapport Consommation de cigarettes illicites dans l’UE, au Royaume-Uni, en Norvège, en Suisse, en Moldavie et en Ukraine réalisé par KPMG pour Philip Morris International, 40 % de la consommation de cigarettes proviendrait du marché parallèle en France. En raison du poids croissant du marché de l’illicite, c’est-à-dire de la contrefaçon (la production et la distribution de cigarettes via des réseaux illégaux) et de la contrebande (l’importation au-delà de la limite légale de 200 cigarettes), la France plombe le bilan européen. Le nombre de cigarettes illicites a en effet augmenté par rapport à 2021 : près de 17 milliards de cigarettes, ce qui représente presque la moitié des volumes illégaux de l’UE (47 % au total). Sans l’Hexagone, le commerce illicite au sein de l’UE aurait diminué de 15 %.

Le nombre de fumeurs s’est stabilisé malgré une hausse des taxes

Ces chiffres démontrent l’inefficacité de notre politique fiscale anti-tabac. La logique prohibitionniste repose sur l’idée selon laquelle la hausse des taxes fait diminuer la consommation. Malgré des taxes qui s’élèvent à 554 % du prix d’un paquet de cigarettes en 2019, le nombre de fumeurs s’est pourtant stabilisé à 15 millions de personnes, dont 12 millions de fumeurs quotidiens. Le rapport KPMG révèle que la contrefaçon représente désormais 15,4 % de la consommation totale en France (contre 0,2 en 2017). Autrement dit, les fumeurs se tournent davantage vers le marché parallèle, en particulier les ménages les plus pauvres qui pâtissent de la hausse régulière de la fiscalité. Les périodes de confinement ont d’ailleurs illustré l’importance du marché de l’illicite : les réseaux légaux ont observé une hausse de 30 % des ventes, les fumeurs n’ayant plus la possibilité de se tourner vers les réseaux parallèles.

L’inefficacité de la lutte contre le tabagisme s’explique par un mécanisme simple : des taux d’imposition trop élevés incitent les consommateurs à sortir des réseaux légaux. En France, le prix moyen d’un paquet de cigarettes n’a fait qu’augmenter ces dernières années : de 1,5 € en 1990 à 10,5 € en 2023, soit une hausse de 600 % en près de trente ans. Plutôt que de réfléchir à une approche différente pour lutter plus efficacement contre le tabagisme, le gouvernement préfère « indexer le prix du paquet de cigarettes sur l’inflation ». Sur un paquet à 10 € en 2023, il faut tenir compte de la TVA (16,7 % du prix) et d’un droit d’accise (67 % du prix). L’Etat récolte donc quasiment 84 % du prix total. Les consommateurs n’ont donc d’autre choix que de se tourner vers le marché de l’illicite pour préserver leur pouvoir d’achat.

L’exemple des pays étrangers : la fiscalité n’est pas la panacée

D’autres pays étrangers prouvent qu’un haut niveau d’imposition n’implique pas nécessairement une baisse de la prévalence tabagique. En Allemagne, en Espagne ou en Italie par exemple, on constate à la fois un niveau de taxes et une prévalence tabagique plus faible qu’en France. Il faut dire que leur approche est moins dogmatique, et peut-être moins hypocrite que l’approche française : les alternatives comme l’e-cigarette ou le tabac à chauffer, dont la concentration de produits toxiques semble être plus faible par rapport à une cigarette classique, sont moins brimés fiscalement. Le Royaume-Uni, présenté pionnier de la lutte contre le tabagisme, applique une fiscalité différente à ces produits du fait d’un niveau de risque jugé moindre pour la santé (risk-based taxation). Certes, il a aussi le taux d’imposition le plus élevé d’Europe sur le tabac, et sa prévalence tabagique a fortement baissé entre 1974 (45 %) et 2019 (14,1 %).

En réalité, il est difficile de mesurer l’efficacité de la fiscalité comportementale à elle seule, et rares sont les études sérieuses qui permettent de l’isoler. D’autres facteurs sont également à prendre en compte, comme les politiques d’informations générales sur le tabagisme, les interdictions de consommation dans certains lieux publics (qui semblent avoir diminué la prévalence tabagique en France ou aux Etats-Unis notamment), ou encore les restrictions publicitaires (sachant qu’aucune étude scientifique ne permet de conclure, à l’heure actuelle, qu’elles influencent la consommation de manière significative ou permanente).