Par Élodie Messéant

À compter du 31 décembre, La Poste va supprimer les avantages en nature, mis en place à l’époque des Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT), de 152 000 anciens postiers. Ils incluent notamment un abonnement téléphonique gratuit, une carte bleue gratuite, des frais de découvert moins élevés, l’application du taux du livret A sur les dépôts du compte courant, etc. Pour la direction, la charge financière des privilèges des postiers était devenue « trop lourde », ce qui n’a pas manqué de susciter la colère des personnels concernés et des syndicats, toujours prêts à défendre des intérêts corporatistes au nom de l’intérêt général.

Ces avantages ne poseraient pas de problème s’ils étaient pris en charge par une entreprise réellement privatisée qui ne bénéficie aucunement du soutien de la puissance publique. Le cas de La Poste est différent : la Caisse des Dépôts et l’Etat en sont les actionnaires majoritaires (respectivement à 66 % et 34 %) depuis la création d’un grand pôle financier public en 2020 pour financer des projets de transformation dans les mobilités vertes, la rénovation énergétique, ou encore le déploiement du très haut débit. Malgré l’ouverture à la concurrence des services postaux le 1er janvier 2011 et le changement de statut en société anonyme, La Poste souffre toujours d’un grand retard par rapport à ses concurrents européens. Elle bénéficie d’ailleurs d’une dotation budgétaire annuelle de près d’un demi-milliard d’euros afin de soutenir l’équilibre financier de son activité principale, le service universel postal, en déficit constant depuis 2018. 

La gestion étatisée est un échec

La nouvelle n’a pas manqué de faire réagir les syndicats qui, fidèles à eux-mêmes, dénoncent une « grossière manipulation » au vu du résultat net de La Banque postale (1 060 milliard d’euros, en hausse de 66,6 %). La réalité est toutefois bien différente de celle de la CGT. En mai 2023, la Cour des comptes insiste sur la nécessité d’entamer une réforme profonde pour absorber les pertes financières du groupe La Poste, dont le déficit pourrait atteindre 1 milliard d’euros à l’horizon 2030. L’augmentation des compensations par l’État, de l’ordre de 612 millions d’euros en moyenne par an entre 2017 et 2020, ne suffira pas à le réduire à moyen terme : le problème est aussi d’ordre structurel, et non uniquement conjoncturel.

Certes, d’autres pays européens sont touchés par une forte baisse des volumes distribués, mais cela ne change rien au fait qu’une gestion étatisée comme celle de La Poste limite les perspectives d’adaptation rapide dans un environnement concurrentiel des services postaux. Raison pour laquelle la Cour recommande, entre autres, d’instaurer des mécanismes que l’on retrouve dans le secteur privé, à savoir des objectifs de résultat dans le contrat d’entreprise 2023-2027. Elle compare également le groupe français à son homologue belge qui, dans le cadre d’un contrat de gestion avec l’État, doit obligatoirement informer sa tutelle en cas de déficit, et faire des propositions pour rétablir l’équilibre des comptes. Un « détail » que les syndicats omettent de préciser, sachant qu’en octobre 2003, la Cour des comptes pointait déjà un retard dans plusieurs domaines par rapport à la concurrence européenne (capacités financières, équipement, organisation, qualité du service rendu). La Poste allemande, par exemple, réalisait un chiffre d’affaires double malgré des effectifs équivalents à ceux de La Poste française. 

Pour une réelle privatisation

Contrairement à ce que l’on a l’habitude d’entendre de part et d’autre, la privatisation complète n’a jamais eu lieu. Certes, l’ouverture à la concurrence a permis de faire baisser l’endettement net global de 46,6 % en euros courants, ainsi que la part de fonctionnaires de 91 % à 73 % entre 1991 et 2001. Pour autant, lors de la dernière étape de cette mise en concurrence en 2011, la transformation en société anonyme ne s’est pas accompagnée de la suppression du statut de fonctionnaire comme ailleurs en Europe. 

Les exemples étrangers sont pourtant nombreux : des pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni ont réussi à transformer leur industrie postale en profondeur. La privatisation totale de la Royal Mail en 2013 a permis d’éponger les déficits et de résoudre les problèmes de financement d’un plan de modernisation, avec près de 2,7 milliards de livres sterling investis dans les sept années qui ont suivi. En attendant, les retraités de La Poste ont certainement été fidèles à leur entreprise durant leur carrière, mais la situation financière de l’entreprise ne justifie aucunement que les fonds publics continuent d’être dilapidés.